Des
produits d’occasion vendus comme neufs dans plusieurs grands magasins
à travers la France, voilà de quoi attiser notre
curiosité! Tout commence par un témoignage reçu
à la rédaction provenant d’un ex-vendeur de la Fnac
repenti. Au début, on a du mal à y croire, même si
ses propos semblent plus ou moins logiques. On pense à une
malveillance de la part d’un concurrent ou d’un salarié qui
souhaite se venger de son ancien employeur, qui l’aurait
licencié par exemple. Par acquis de conscience, on
vérifie: on interroge des vendeurs exerçant ou ayant
exercé chez l’agitateur et ailleurs, on lance un appel à
témoins, etc. Et après enquête, on doit se rendre
à l’évidence : la remballe, oui, ça existe!
Dossier
réalisé par l’ensemble de la rédaction
Témoignage.
J’ai choisi les colonnes du Virus pour
vous faire partager mon
expérience de quelques mois en tant que vendeur en
logithèque à la Fnac. Vous ressortirez peut-être
incrédule et continuerez sagement à faire vos petites
emplettes auprès de la célèbre enseigne. Ou bien
vous porterez dorénavant un regard différent sur la
« fraîcheur » des produits que Monsieur
Fnac vous propose dans ses linéaires cossus.
Pour fixer les esprits, il faut savoir que ce sont des dizaines de
CD-Rom qui sont chaque jour rapportés en magasin par des clients
mécontents. Je ne vous surprendrai pas en disant qu’il s’agit
pour l’essentiel de jeux. Ceux-ci refusent de s’installer,
« plantent » allègrement ou
nécessitent de fait une configuration nettement
supérieure à celle qui est requise sur la boîte. Ou
tout simplement, le client a changé d’avis et souhaite profiter
du service « satisfait ou remboursé »
promis par l’enseigne. Le produit n’a alors peut-être pas
été utilisé du tout. Peut-être, aussi,
est-il retourné, en fin de période d’essai, après
15 jours d’utilisation intensive. Ou comment bénéficier
d’une location gratuite…
Je ne m’étendrai pas plus sur les petits malins qui ont bien
compris le « système » Fnac: ils viennent
régulièrement échanger ou se faire rembourser les
logiciels qu’ils ont auparavant honteusement copiés et
recopiés entre potes. Illégal, bien sûr!
Bref, lorsque vous retournez un CD-Rom en magasin, voici ce qu’il se
passe…
Fédération Nationale des
Achats (re)Cellophanés
En professionnel aguerri par des mois de pratique, le vendeur
vérifie tout d’abord que vous n’avez pas défoncé
la boîte. Si le produit n’a pas été
déballé, parfait: retour en rayon mérité!
Sinon, il jette un rapide coup d’œil sur la surface du CD afin de
s’assurer que vous ne vous en êtes pas servi pour aiguiser votre
Laguiole. Ensuite, il feuillette le manuel d’utilisation, à la
recherche du moindre graffito qui lui permettrait de vous dire, avec un
sourire cynique aux lèvres, qu’il ne peut pas reprendre votre
logiciel.
Si rien, vraiment rien, ne peut vous être reproché, alors
vous repartirez benoîtement avec votre bon de remboursement
à présenter en caisse. Pour le vendeur au gilet vert,
deux situations se présentent: « sticker
rouge » ou « sticker vert » (ndlr.: ce
système n’est pas utilisé dans tous les magasins
apparemment).
L’étiquette rouge que l’on pose sur le produit que vous venez de
rendre signe son caractère définitivement
défectueux. Elle entraîne par conséquent un retour
à l’éditeur ou au constructeur concerné. Le retour
passe par la Centrale d’Achats Fnac qui vraisemblablement se fera prier
pour accepter de reprendre sa camelote. Il convient donc, si l’on veut
faire carrière au rayon logithèque, d’utiliser le sticker
rouge avec parcimonie, voire circonspection. Car il signifie surtout
que, vu l’état dans lequel il se trouve, le produit ne pourra
pas être remis en vente même après avoir subi un bon
lifting. Les logiciels de bureautique et les utilitaires se verront
d’emblée marqués d’un sticker rouge. La plupart d’entre
eux contiennent, en effet, un emballage spécifique qu’il n’est
pas possible de reconstituer une fois ouvert.
L’option qui réjouira les « agitateurs »
est donc celle du bon vieux sticker vert. Elle ouvre les portes d’une
seconde vie au CD-Rom que vous venez de rapporter parce que, selon
vous, il était défectueux! Dans le jargon des vendeurs
les opérations suivantes s’appellent le
« check » et la « cello ».
Quotidiennement (voire plusieurs fois par jour après la vague
des achats de fin d’année), les logiciels marqués d’une
étiquette verte sont reconditionnés pour regagner,
au plus vite, leur place dans les rayons.
Une machine puante, bruyante mais efficace
Pendant que les clients arpentent les allées de la
logithèque à la recherche du prochain titre (neuf?)
qu’ils vont s’empresser d’acheter, au sous-sol du magasin, des petites
mains s’activent. La surface des CD est
« checkée » (pas de rayures trop
apparentes?) et nettoyée de toute trace de doigts suspecte. On
« checke » que vous n’ayez rien écrit au
stylo (cheat codes ou autre) sur le manuel d’utilisation, on
« checke » l’état général de
la boîte, et hop, direction la cellophaneuse (aussi
appelée « blisteuse »)! En
général, pas le temps de
« checker » que le logiciel fonctionne! Inutile
puisque les problèmes constatés avec les logiciels
viennent le plus souvent d’incompatibilité avec la configuration
du client, ou de son inexpérience. Les cas de CD
réellement défectueux sont très rares.
La cellophaneuse est une machine bruyante et puante, mais terriblement
efficace. En quelques secondes, elle recellophane tout ce qui l’a
déjà été, tout ce qui peut l’être et
tout ce qui le sera encore à nouveau. Eh oui, chers
adhérents et chers clients, ce que je décris ici vaut
aussi bien pour les CD-Rom que pour les films vidéo et laser,
les cassettes et les CD-Audio enregistrés, les manettes de jeu,
les modems, etc.
Ainsi, le logiciel, qui quelques heures plutôt, vous prenait la
tête parce qu’il refusait de s’installer, plantait, boguait ou
ramait à mort sur votre micro se retrouve de nouveau en rayon,
reconditionné et réétiqueté, prêt
à être revendu. Il faudra plusieurs aller et retour
client-magasin avant qu’un vendeur ne décide de sceller pour de
bon le sort dudit CD-Rom avec un sticker rouge. Quoique, avec un peu de
chance pour les gestionnaires du rayon, le produit recellophané
ne reviendra pas. Le nouvel acheteur aura réussi à s’en
servir par miracle, cherchera en vain à joindre la hot-line de
l’éditeur, laissera passer le délai fatidique des 15
jours ou, imparable, aura entre-temps perdu son ticket de caisse.
Fnac: reconditionneur depuis 1954?
Il est facile de comprendre qu’un produit défectueux - ou
considéré comme tel dès lors que l’emballage est
simplement ouvert - qui doit être retourné au fournisseur
constitue une charge quel que soit le magasin: gestion des retours,
immobilisation du stock, baisse de rentabilité. Mais je voulais
mettre en lumière l’hypocrisie sereine qui règne à
la Fnac. Elle masque une politique de gestion des retours de
marchandise un peu trop systématique.
L’un des grands atouts de la Fnac, vous l’aviez remarqué, c’est
de proposer à ses clients une garantie totale
«
satisfait ou
remboursé dans les 15 jours qui
suivent votre achat ». Un discours commercial qui se
veut
rassurant car, à la Fnac, on vous accorde le droit de vous
tromper, oui Monsieur! Mais ce que l’on oublie de vous dire c’est que
cet avantage concurrentiel a une contrepartie: votre petite famille
vient de s’offrir pour Noël un micro-ordinateur multimédia
flambant neuf ? Quelle garantie avez-vous en définitive
qu’il ne s’agit pas d’un matériel de seconde main habilement
reconditionné?
Alors, après avoir fait vos achats à la Fnac, si en
rentrant chez vous vous avez le moindre doute sur la
« fraîcheur » des articles que vous venez
d’acquérir, n’hésitez surtout pas à rapportez-le
tout à votre magasin le plus proche. En bas, au sous-sol, on
vient de mettre un rouleau de film plastique neuf dans la
cellophaneuse.
Gilles
Satisfait ou remboursé: les abus!
Compte bancaire vide? Impossible de retirer du liquide à un
guichet? De petits malins prennent les magasins, qui assurent le
service « satisfait ou remboursé », pour
des banques avec prêts à taux zéro! Comment? Ils
achètent dans un de ces magasins des articles pour un montant
équivalent à la somme désirée, puis payent
par carte de crédit à débit différé.
Il leur suffit de revenir plus tard, et de demander un remboursement.
Le plus souvent, celui-ci s’effectuera en liquide. Leur compte, lui,
sera débité plus tard… Malhonnête.
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Que dit la loi?
Nous avons questionné la D.G.C.C.R.F. (Direction
Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la
Répression des Fraudes) à ce sujet. Le devoir
d’information du client est obligatoire: on ne peut pas
présenter comme neuf un produit qui a déjà servi,
c’est de la tromperie. L’occasion débute dès qu’il y a un
changement de propriétaire, ou simple utilisation. Exemple, la
chemise, qu’on rapporte parce qu’elle est trop grande, ne devrait pas
être revendue! Mais allez le prouver! Autre exemple: une voiture
qui a été prêtée par un garage ne peut plus
être vendue comme neuve. Rappelons que la Fnac propose à
ses clients d’essayer en magasin ses CD-Audio: ceux-ci sont
déballés, puis remballés finalement, si le client
les refuse.
La clientèle peut s’appuyer sur l’article L. 1111 du code de la
consommation, qui oblige le vendeur de mettre le consommateur en mesure
de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou
du service. L’état neuf ou occasion en est un. Également
utile, l’article L. 113-3 concernant l’obligation d’affichage: les
magasins se doivent d’afficher que ces produits sont de seconde main!
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La position officielle de la Fnac
Nous avons eu du mal à avoir un interlocuteur compétent
à la Fnac. C’est Victor Jachimowicz, directeur des
études, qui a répondu à nos questions. Enfin,
presque!
Combien de
produits sont ramenés suite à votre offre
« satisfait ou remboursé » ?
Ce service est rare, peu d’enseignes le pratique. Il coûte
à la Fnac, mais si nos concurrents savaient combien il nous
coûte, sans doute qu’ils changeraient de position.
Que deviennent ces
produits?
Ils ne sont pas revendus, c’est clair!
Ah bon?
Ils sont recyclés mais je ne peux/veux pas vous dire comment.
On n’en saura pas
plus.
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Satisfait ou remboursé: les
conditions
« La Fnac échange
ou rembourse tous les produits dont vous ne seriez pas satisfait,
quelles que soient les raisons de votre insatisfaction, dans les 15
jours suivants l’achat sur présentation du ticket de caisse ou
de la facture. Conditions de reprise: le matériel doit
être en parfait état et complet (emballage, accessoires,
notice, etc.). »
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Notre enquête...
La remballe ne serait donc pas réservée qu’aux produits
alimentaires. Notre premier réflexe a été de nous
rendre dans un magasin Fnac de la région parisienne. Nous avons
demandé, innocemment, à un vendeur du rayon informatique
ce que deviennent les produits ramenés: «
nous avons
des contrats avec les fournisseurs, nous leur retournons tous les
produits ouverts. Mais il faut savoir que nous ne reprenons pas les
utilitaires ». Erreur: la clause
« satisfait ou
remboursé » ne connaît aucune exception! Si le
magasin refuse de vous rembourser, n’hésitez pas à
pousser une gueulante (et à écrire au
Virus)! Donc, pour
en revenir à nos moutons, le service « satisfait ou
remboursé » serait rendu par les constructeurs
et les éditeurs, pas par le point de vente. Dans ce cas,
pourquoi toutes les surfaces ne le proposent-elles pas? Pour le savoir,
nous avons téléphoné à quelques
fournisseurs.
Vu les relations qu’ils entretiennent avec la Fnac, le plus gros
distributeur de produits multimédia en France, ils n’aimeraient
pas se fâcher avec elle. L’anonymat sera de rigueur. Mais
même son de cloche partout: «
nous ne voulons pas
entendre parler du service « satisfait ou
remboursé ». Nous ne reprenons que les produits
défectueux, ou invendus en fin de vie lorsque c’est
stipulé dans notre contrat. De toute façon, toutes les
enseignes sont équipées pour le cerclage ».
Tous équipés pourle cerclage!
Bref, le vendeur de la Fnac nous aurait menti, ou ignorait ce qui se
tramait en coulisse. D’autant plus que les témoignages
affluaient pendant ce temps, suite à notre appel. Celui-ci, d’un
client qui a acheté un joystick, neuf sous emballage, mais qui
s’est aperçu que la carte de garantie était
déjà remplie - un mauvais
« check ». Ou cet autre client qui a dû
faire un scandale un samedi après-midi pour se faire rembourser
son micro-ordinateur fraîchement acquis, neuf sous emballage
scellé, au prix de 18 000 F. Motif? A la première
utilisation de son micro, il s’était rendu compte que le disque
dur de sa machine contenait déjà les répertoires,
les fichiers et les documents d’un autre utilisateur… Le vendeur qui
avait reconditionné la machine suite à un premier retour
avait tout bêtement oublié de reformater le disque avant
de tout bien ranger dans le carton. Inversement, nous avons
trouvé des clients qui n’étaient pas gênés,
lorsqu’ils s’en sont aperçus, d’avoir acheté un objet
ayant déjà servi.
Des employés et ex-employés de la société
nous confirmeront cette pratique, dans divers magasins de la
chaîne. Les expériences sont peu ou prou les mêmes
partout. De ceux qui ne peuvent parler, de peur de perdre leur job,
mais laissent le client trouver par lui-même:
«
pourquoi croyez-vous
qu’on fait si attention au moment de
la reprise? Et, à votre avis, à quoi sert notre
blisteuse? », à ceux qui, amusés par la
situation, rajoutent «
on
peut emprunter 3 ou 4 logiciels
par semaine, même les plus chers, genre Pack Office.
Après
usage, il suffit de les remballer et de les remettre en rayon. À
un instant donné, ça en fait des produits en dehors du
stock! », en passant par ceux qui ont quitté
la
société, plus enclins à parler:
«
à certaines
périodes, après les
fêtes notamment, je ne faisais que ça! ».
Un
autre conclura «
tout ceci
est évident. Comment
pourrions-nous faire autrement? Le client devrait le savoir, le
deviner. Le service « satisfait ou
remboursé » le rassure et lui donne le droit à
l’erreur? Eh bien, c’est le prix à payer! Et comme au final, les
produits sont généralement bien reconditionnés et
qu’ils ont l’air neuf, le client croit que c’est un autre qui va se
laisser piéger et reste pour sa part heureux de son
achat. » Et vous, le saviez-vous?
Que font les autres magasins?
Nous avons visité le magasin Carrefour de Pontault-Combault
(Sei-ne-et-Marne), connu pour son rayon
Informatique plus développé que dans les autres
magasins de la chaîne. Nous avons interrogé le responsable
sur le sort des produits retournés suite à l’offre
« satisfait ou remboursé ». Réponse
claire et nette: « ceux-ci
sont remis en rayon, en
l’état. Si quelqu’un en veut… » Et
effectivement,
nous avons vu des cartons visiblement ouverts, traîner avec les
autres, dans les rayons. Difficile pour un client de ne pas comprendre
que les produits ont été déjà
déballés et utilisés. Moins d’hypocrisie que chez
la Fnac donc. Néanmoins, une plus grande rigueur au niveau de
l’information de la clientèle ne serait pas superflue. À
noter que les machines déballées sont souvent
proposées avec une ristourne de 5 %, en tant que produit
d’exposition. Légère tromperie là encore, mais de
bonnes affaires en perspective. Nous n’avons pas eu suffisamment de
témoignages sur cette chaîne pour pouvoir nous prononcer
plus.
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Pire encore!
À part certains magasins pratiquant le « satisfait ou
remboursé », nous n’avons eu que quelques
échos ponctuels de « petits »
revendeurs-assembleurs faisant passer du matériel d’occasion
pour du neuf. En général, ce sont des
sociétés qui proposent un système de mise à
jour du matériel. Elles reprennent donc à leurs clients,
moyennant remise, leur ancien matériel, pas trop
démodé quand même, pour l’achat d’un nouveau
matériel. Cet ancien matériel, démonté, est
ensuite revendu, dès que possible, dans un PC au boîtier
flambant neuf ! En effet, combien d’utilisateurs ont le
réflexe d’ouvrir leur machine, et surtout savent détecter
un microprocesseur, des mémoires et autres cartes
déjà utilisés dans une vie antérieure? La
mission est quasi impossible.
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Cette information parue dans Virus
7 en mai 1998 sera reprise par Libération
et surtout Que
Choisir qui poursuivra l’enquête. L’enseigne expliquera
à nos confrères que les produits en bon état sont
revendus, oui, mais avec ristourne. Un discours contredit
immédiatement par de nombreux vendeurs. Concernant les produits
abîmés, la Fnac explique qu’une filiale les écoule,
mais refuse de dire le nom de cette filiale. De toute façon, les
vendeurs rétorquent que le matériel abîmé
n’est pas repris. Depuis, les conditions de l’offre
« satisfait ou remboursé » ont
changé: les logiciels et CD musicaux ne sont plus repris s’ils
ont été ouverts. Les témoignages de victimes de la
remballe existent toujours, mais au compte-gouttes.
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